Exposition Portraits Transfigurés – BIP 2024 (Mutantx), Liège. Accessible jusqu’au 05 mai 2024.
PORTRAITS TRANSFIGURÉS (2019 – 2024)
La série des Portraits transfigurés de Louise Narbo propose des représentations du monde intérieur d’une personne – ses émotions, ce qui l’habite à un moment donné – à partir du portrait photographique de son visage.
Cette photographe a grandi à une époque et dans un environnement où l’on se plaisait à dire que le silence était d’or. Qu’y avait-il derrière l’apparence de ces visages qui l’entouraient ? Des secrets, des regrets, des blessures ? Elle tentait d’en combler les vides, les silences, par des constructions imaginaires. La photographe adulte réinvestit les habitudes de l’enfance et cherche toujours à traquer les énigmes cachées dans les visages.
Les portraits sur lesquels elle choisit de travailler sont souvent des photos d’identité tirées de ses archives personnelles, ou toutes sortes de
photographies capturées dans le passé. Ses choix partent d’une intuition, parfois d’un hasard. Si elle retient une photo, c’est qu’elle sent que cette image sera porteuse de promesses et qu’elle garde en germe d’autres images qui ne demandent qu’à naitre. À propos du rôle des écrivains ou des artistes, Patrick Modiano, disait qu’ils devaient « Dévoiler ce mystère et cette phosphorescence qui se trouve au fond de chaque personne ».
Devant un portrait photographique, silencieux par nature, voici qu’elle se met à l’écoute des images. Étrange d’écouter une photographie, de scruter le visage pour débusquer ce que cette personne aurait pu lui livrer avec des mots. Parfois, en un éclair, une image mentale se propose à elle et zèbre son champ visuel. Ce sont des propositions étonnantes qu’elle traduira photographiquement en associant différentes images et en pratiquant des interventions multiples (superpositions, dessins, collages…). Alors, on pourrait peut-être dire que Louise Narbo est une photographe visionnaire !
D.P.
VOYAGE INTERIRUR VERS UNE TERRE OUBLIEE
Ce projet parle d’un retour en Algérie, ma terre d’origine. Non pas un voyage au pays, seule ou avec d’autres pieds-noirs, rapatriés ou anciens colons. Non, un voyage intérieur, à la rencontre d’un oubli, d’un silence. Le silence qui suit les détonations de la guerre, le long silence de l’exil.
La décision de revenir vers cette profonde zone de l’oubli, l’Algérie et sa guerre, émergea en 2017, peu après un voyage à Cuba. Tout au long de la traversée de cette île, j’étais prise dans un malaise, une blancheur opaque enveloppait mes pensées, les rendant lointaines, inaccessibles. Plus d’accès aux émotions, aux pensées, une muraille molle m’en séparait.
Il y eu, à mon retour l’impression de partager un profond silence avec les Cubains que j’avais rencontrés. Puis j’ai compris, en découvrant les nombreuses photos de palmiers que j’avais ramenées, que l’Algérie était venue me visiter et m’engloutir au cours de ce périple. Sans mon accord, elle s’était imposée à moi.
Le temps était venu d’exhumer cette valise fermée, enlisée dans la vase profonde de mon passé. Bien sûr, j’avais parfois évoqué mon lieu de naissance, pris des photos de paysages méditerranéens qui me rappelaient ma terre natale. Elle était là, de biais, un détail exotique de mon histoire. Dans les petits textes que j’écrivais, le mot guerre n’est apparu que très tardivement. Je flirtais avec l’Algérie, mais je la quittais bien avant qu’une relation ne s’établisse.
Cette entreprise de création d’images m’a aidée à préciser mon identité, à parler de ces tribus Berbères musulmanes, installées dès l’Antiquité en Afrique de Nord et vivant avec les populations Berbères de confession juives. Je suis issue de ces tribus lointaines. Pas colon ni pied-noir, ni rapatriée. Je suis une exilée.
Dans l’après coup, j’ai identifié les modes d’écriture qui se sont imposés à moi, très souvent de façon intuitive. Il y a eu d’abord des photos monochromes, peu retouchées, de paysages ou d’archives familiales. Pour exprimer la présence d’un refoulé, j’ai pratiqué la surimpression et enfin, pour représenter la mémoire en action, j’ai recouru à des rapprochements ou des encastrements d’images. Louise Narbo
EXPOSITION PERSONNELLE DU 20/03 AU 25/04/2021
LES VOYAGES DE LA NUIT
Il ne me reste de l’enfance qu’un souvenir d’ennui, une grande vacuité. Très jeune, je fuguais, mais l’on me retrouvait toujours. Je me terrais alors dans le creux d’une chambre ou à sa fenêtre, guettant le moindre événement qui pourrait me distraire. Je convoquais aussi les rêves de la nuit, car leur beauté m’impressionnait.
J’ai essayé de capter quelques images de ces rêves récurrents. Parfois, des pensées émergent dans le sommeil. Des mots comme des bulles éclatent à la surface de la conscience. Les mots entrent dans l’image. Ils s’y logent, insaisissables comme le souvenir. L’image est vacillante. Des formes se superposent, se condensent, jouent en miroir.
Photographier pour tenter de revoir, dans la nuit du labo, ces paysages improbables, cette fantaisie. Tenter de retrouver, les yeux ouverts, ces scènes de la vie intérieure.
LA VISION FANTÔME
Au départ, rien de très construit. J’envisageais une série d’autoportraits. C’était une impulsion, l’idée d’un travail sur l’âge qui avance inéluctablement. Mais, face aux premières épreuves imprimées, des perspectives nouvelles, bien différentes me sont apparues.
Une photographie plus ancienne, que j’avais nommée : « le fantôme », m’est alors revenue en mémoire. Elle représentait mon ombre portée. Sans doute le souvenir d’un passé où mon image restait encore évanescente, presque irréelle. Cette ombre, ce fantôme, je l’ai réalisé ensuite, correspondait probablement à ce que mon père – dont la vue était faible – voyait du monde. Un accident dans son enfance, puis, une vision voilée, floue, s’assombrissant de plus en plus avec l’âge.
Ses troubles visuels, sa malvoyance, ont fondé, je crois, mon désir de devenir photo-graphe et en ont induit l’écriture. Représentation tronquée, percée de trous et de mots.
Ce travail fut une révélation, celle du regard de mon père tapi dans l’ombre du mien.
Tout dernièrement, j’ai appris que ma découverte fortuite, liée à cette série, pouvait être assimilée à un processus portant un nom savant, la sérendipité.
MEMOIRE DE PAPIER
Les archives familiales dorment au fond des tiroirs. Avec les cartes postales, les recettes de cuisine, factures et livres de comptes…Au hasard des fouilles, leur désordre livre des combinaisons qui bousculent notre mémoire.
Rapprocher ces papiers silencieux du tranchant de nos questions. Se tenir derrière l’auteur de ces vieilles photos. Le traverser, lui et son boitier, pour être enfin le témoin de ces scènes.
Tisser un récit qui nous appartiendrait, et colmaterait ces vastes landes trouées de cratères abyssaux. Ecrire enfin une mythologie dont on pourrait être l’auteur.