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UNE POESIE FANTASTIQUE AUX ACCENTS SURREALISTES
L’authentique dessinateur est celui qui ne se contente pas seulement de la réalité qui l’entoure, mais qui invente, par la seule grâce du trait, un univers à lui propre, immédiatement identifiable. Un dessin de Roland Devolder se reconnaît ainsi sur-le-champ. Sans doute une mystérieuse alchimie préside-t-elle à cette immédiate identification. Se ressent tout à la fois dans le dessin de l’artiste d’Ostende, l’esprit flamand qui y foisonne, mais aussi une certaine manière de croquer les personnages, de leur donner vie, une certaine manière de jouer avec les infinies nuances du gris, de planter les décors en quelques coups de crayon bien sentis, d’amener l’air de rien une atmosphère de mystère, atmosphère étrange et pleine de poésie. Nul doute que Roland Devolder a fait sienne cette phrase de Frederico Garcia Lorca : Toutes les choses ont leur mystère, et la poésie c’est le mystère de toutes les choses, car son art tout entier – sa peinture, sa sculpture y compris nous plonge en général au cœur d’un univers bien peu cartésien… Ludovic Duhamel

La toile « L’obsession du pêcheur » laisse se tracer, sur une surface aux transparences de café, un hybride mi-homme mi-poissons. Il se présente à nous, avec dévoilement et accessibilité. Il ne semble pas craindre le regard, il l’accueille, le réclame. Il s’accomplit par la vision du visiteur qui contemple l’individu peu commun ; alors qu’il semble se figer, dans ce moment subtil de partage du soi, son visage marin se fractionne en un banc mouvant de poissons.

Cette multitude aquatique brise l’immobilisme de l’échange intime et insère une direction à ce qui était stable et paisible. Les créatures des mers sont représentées de profil ; elles s’incarnent par la transition et le mouvement. Bien que le corps semble trouver sa plénitude par le figement, la tête, siège de nos pensées, se veut multiple, animale et insaisissable.

La figure du poisson n’est pas dénuée d’une certaine complexité. Il est issu de la mer, lieu grouillant de vie mais aussi de dangers, où se côtoient à la fois clarté et flou ; la fascination océanique semble si adaptée aux méandres de notre esprit. Nous nous surprenons à trouver familier ce monde de l’étrange et de l’inaccessible.

Et que dire du titre de l’œuvre, « L’obsession du pêcheur » ? Si l’être représenté est bien un pêcheur, qu’en est-il de ce banc de poissons ? L’obsession semble se confondre avec l’identité de celui qui la poursuit. Elle est à la fois sinistre, car l’obsession va souvent de pair avec ce qui nous manque avec violence ; mais elle est aussi source d’essence pour celui qui a dédié sa vie à cette dernière. Que devons-nous voir dans les yeux tantôt creux, tantôt brillants de l’hybride abyssal ? Sans doute la pluralité de l’être, oscillant entre conscient et caché, vitalité et au-delà, solitude et altérité.

Est-ce qu’esprit et matière se repoussent dans cette œuvre ? Il serait possible de le croire. En effet, tout s’oppose dans ces lieux aux natures différentes. Mais peut-être qu’est-ce la reconnaissance de nos mosaïques spirituelles qui nous permet de dévoiler notre propre singularité. Ces deux pôles ne s’opposent peut-être pas, mais se compléteraient ; l’exploration de nos flous permettrait de mieux cerner nos intérieurs.

L’individu est représenté dans ce qui semble être un espace clos de faible profondeur. Le corps est ainsi piégé dans ce volume sans issue, sans fenêtre sur une altérité. Mais pourtant, il s’épanouit dans toute sa majesté. Le banc de poissons semble épouser le courant de la pensée ; il s’échappe du cadre, tout en ne nous dévoilant pas tout ce qui recèle dans cette multitude.

Peut-être est-ce là l’accomplissement de l’être selon Roland Devolder, celui d’un être animé par ses inconnues, ses transitions, son inaccessibilité profonde ; bref par une obsession originelle et plus forte que tout. Pierre Hubeaux-Colon