About

Né le 8 mai 1964 à Paris
2016 Prix de la Fondation Pierre Gianadda, Académie des Beaux Arts, Paris
2006 Grand Prix de la biennale de sculpture de Poznan, (Pologne)
1997 Prix Pierre Cardin, Académie des Beaux-Arts, Paris
1988 Diplôme de sculpture de l’École nationale supérieure des Beaux Arts de Paris
1986 Diplôme de l’École nationale supérieure des Arts appliqués et des Métiers d’art de Paris

Veilleur de pierre par Yannick Mercoyrol

Il y a un côté titanesque chez François Weil. Le rire sonore du bonhomme éclate sur un fond de silence comme pour couper les ailes à toute envolée lyrique, pudeur rentrée de celui qui récuse toute tendance au symbole, à l’enfermement dans les cadres trop étriqués que la critique voudrait imposer, dans toute visée claire qui s’apparenterait à un programme de travail. Un rire rétractile, qui est comme l’envers d’une force qui va, comme disait l’un, et soulève les montagnes, comme disait un autre. On ne s’attendait certes pas à trouver un gringalet pour souder le métal, le visser à la pierre, extraire des blocs de plusieurs tonnes, et c’est bien plutôt une sorte d’ogre débonnaire qui vient à notre rencontre, les mains calleuses et le regard pétillant, jouant du burin et du caterpillar plus que de la gouge et de la plume. Et avec ça le rêve poétique d’inverser la pesanteur en légèreté, de mettre en branle ce qui est d’ordinaire immobile… « Des pierres de plusieurs tonnes en flottement dans le vent » : c’est lui qui le dit, c’est ainsi qu’il exprime son rêve de Titan et fait mentir à la fois les lois élémentaires de la pesanteur et les proverbes. Muet / lourd / statique comme une pierre ; autant d’expressions figées retournées par le travail du sculpteur qui s’origine dans un réseau de tensions lui conférant sa puissance expressive et formelle : mouvement et immobilité, légèreté et pesanteur, équilibre et déséquilibre, instant et durée. Car les blocs sont ajointés les uns aux autres par une ou des tiges de métal qui n’ont pas uniquement pour fonction de les faire tenir ensemble, mais de permettre une rotation axiale ou latérale qui les délivre de l’immobilité, leur donne le vertige du mouvement. Une faible poussée sur la pierre et la voici qui se meut ; la force d’un enfant y suffit. Il y a quelque chose de fou, d’absurde, à prétendre se jouer ainsi des lois de la pesanteur, à renverser ce qui pèse en énergie cinétique. Rêve de démiurge : vaporiser la matière et l’arracher doucement à ce qui la rive au sol, l’englue dans la factualité du monde. Donner vie, c’est-à-dire mouvement, au règne minéral. Titanesque, oui, et alchimique presque, puisque l’opération conduit à intervertir in fine les ordres du réel en conférant liquidité au rigide, en remettant la pierre aux forces du vent. Le geste artistique prend toute sa force dans cette confusion qu’il suscite, selon le paradoxe d’une œuvre mariant le chaos (cette confusion des ordres élémentaires) à la pureté formelle (cosmogonique ?) des sculptures achevées. A bien y regarder néanmoins, aucune magie dans cette affaire, pas alchimiste pour un sou le Titan ! Ce serait même plutôt un retour à la réalité qu’il désignerait par là : car s’il peut paraître absurde ou merveilleux de faire bouger les pierres, le travail de Weil rappelle également que, à l’échelle de la géologie, les pierres, effectivement, bougent. Le sculpteur entraîne notre regard vers l’arrière et nous enjoint à considérer une tout autre échelle du temps, qui embrasse une durée longue scandée par des plissements, des fractures, des effondrements et des érections, toute une tectonique qui produit des arrachements à hauteur de montagne, des cassures océaniques, des ravinements gigantesques et des anfractuosités abyssales. Titanesque on vous dit…

Et c’est là sans doute l’une des premières émotions qui saisit le spectateur, et le rend contemporain du rêve de ces peuplades primitives qui ont réussi le tour de force de déplacer, parfois sur des centaines de kilomètres, de gros blocs de pierre à l’aide de moyens rudimentaires : Egyptiens, Celtes, peuplades précolombiennes dont tout à la fois le but et la technique demeurent parfois aujourd’hui encore un mystère. Les œuvres monumentales de François Weil participent de cette lignée, elles la prolongent. Et la fascination qu’il dit devant les montagnes et leurs éboulis, c’est également la nôtre à contempler ses œuvres, dans le silence un peu inquiet de l’hominidé gracile qui ressent, intensément, intuitivement, la présence matérielle du minéral qui bouge imperceptiblement sur son armature de métal. Le chuchotis des grands cairns, des dolmens, des constructions olmèques s’entend à nouveau ici ; et comme là-bas, sa signification se brouille, demeure incertaine, en une coalescence d’énergies dont la présence déborde toute stabilité du sens. Ce n’est pas simplement la pierre qui est mise en mouvement par le sculpteur, mais le sens lui-même, défait de tout horizon affermi et rassurant. Ce qui requiert le spectateur devant ces présences minérales, c’est leur force intacte, brute, comme si l’artiste était parvenu, par sa composition, à réenclencher leur puissance, en-deçà de toute parole leur assignant une direction. La pierre parle, bouge, s’aère ; mais son dit ne rencontre aucune langue. Il y a dans ces œuvres, lâchons le mot, une force totémique qui impose silence : Weil retrouve la puissance expressive matérielle des grands agencements que chacun a pu croiser, dont l’excès même vaut en soi, par-delà toute fixation chamanique, selon une sorte d’état pré-religieux qui ajointe le connu à l’inconnu, recourbant sur la forme tout élan vers le sacré, tout en maintenant vive la tension spirituelle. Il l’énonce lui-même : « il faut bien avouer qu’il y a une forme de spiritualité » dans ses blocs, un je ne sais quoi qui saisit devant ce qui nous dépasse, nous intrigue, nous embarque vers un retour amont. Par les divers glissements qu’elle suscite, cette œuvre percute un espace intime qui fait socle commun ; elle est en cela éminemment partageable, profondément humaine.

D’abord parce que le travail de transformation opéré par l’artiste se veut le plus discret possible, laissant respirer l’œuvre qu’il propose au regard en se bornant à combiner ensemble des pierres intactes. Le geste du sculpteur n’est en effet quasiment jamais intervention : Weil n’est pas un tailleur de pierre, plutôt un veilleur de pierre. Il parcourt les carrières, observe les flancs des montagnes, arpente les falaises. Son office : choisir les pierres remarquables, saisir les fissures, les arrachements, anticiper les formes. Retourner le hasard de telle fracture en montage formel, c’est-à-dire : agir sur la matière et ses accidents, pour les marier à la nécessité. Et faire tenir ensemble des chutes, tout en veillant à masquer les traces de son action : les tiges de métal qu’il utilise sont intégrées à la masse des blocs qu’elles solidarisent, de sorte à laisser libre cours à la matière, et ne pas faire obstacle à sa préhension par le spectateur. Libre à nous de saisir alors dans les œuvres des structures zoomorphes ou anthropomorphes, de projeter à l’envi notre propre catalogue d’images dans celles qu’on a devant les yeux. François Weil n’interdit ni ne consigne : le flâneur peut tout aussi bien saisir la dimension ludique que la référence anthropologique, l’arrière-pays métaphysique ou la brutalité abstraite des pièces. Le fantasme s’avance nûment dans ce travail, il s’abandonne à sa propre dérive, va son chemin singulier dans l’exaltation ou le silence inquiet. Entre hasard des brisures et nécessité du choix, l’artiste élit intuitivement tel ou tel bloc, et place le spectateur dans une situation analogue : devant l’œuvre, nous sommes requis par une présence qui contient en puissance une certaine polysémie, une ouverture à des horizons de significations qui ne sont jamais données comme telles, mais que nous sommes libres d’arpenter à loisir. Cette fondamentale indécision, on pourrait en retrouver la trace dans les différentes topiques, si l’on peut dire, parcourues par la sculpture au XXème siècle, que traverse le travail de François Weil comme pour mieux s’en échapper : la simplification (le primitivisme de l’art nègre, des Cyclades, et ses succédanés de Picasso à Brancusi, Moore ; puis le minimalisme américain d’un Judd ; l’art brut de Dubuffet ou Chaissac, les bois de Baselitz, etc.), le mouvement (la sculpture cinétique), l’abstraction sous ses nombreuses formes, et notamment celles qui frayent encore avec la figure, enfin la pratique du détournement et/ou de la récupération (plutôt du côté de Tinguely que de César et du pop art), dont l’unique matériau ici serait la pierre. Manière de dire combien ces œuvres s’inscrivent dans une trajectoire consciente, et plus encore à quel degré elles s’en dégagent, en tenant d’un seul geste la préhistoire et l’installation contemporaine. En existant, précisément, au point exact de leur différence. Coda

Toute sculpture, sans doute, perturbe et recompose à sa main l’espace qu’elle investit : c’est sa définition même, qui l’inscrit comme un objet réel dans les trois dimensions de l’espace. Celle de Weil plus qu’une autre peut-être. D’abord, bien sûr, par ses dimensions monumentales qui imposent de facto sa présence comme un coup de gong dans le lieu qui l’accueille. Par la vibration ensuite, ou le mouvement qui la traverse, qui interagit avec son entour immédiat en lui imposant une forme de tremblement qui brouille ses lignes de force. Par la scansion, enfin, qu’elle marque dans le paysage environnant, qui se trouve questionné par son intrusion, son emprise, et ainsi doucement contraint à l’altérité qu’elle représente, à l’altération qu’elle induit. L’être-là de la sculpture, tranquillement posée dans sa présence : impossible pour l’espace autour de nier sa perturbation, d’exister en autarcie. A Chambord comme ailleurs. En implantant ici ses pièces, c’est à une sorte de dialogue minéral singulier auquel appelle le sculpteur, ponctuant l’espace devant le monument, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’enceinte. Face à la sculpture monumentale qu’est peut-être avant tout le château, le rythme inédit composé par François Weil dit à la fois l’intimité du rapport et le contraste des échelles, des couleurs, des matériaux. Si l’installation de la façade sud, réalisée pour l’exposition, reprend volontairement le matériau (calcaire) utilisé pour les fondations de Chambord, les autres pièces se posent comme un révélateur et autant d’accidents. Révélateur de la qualité proprement artistique (et spirituelle) d’une construction dont l’essence est d’ordre esthétique, et également de la part de mystère qu’elle recèle ; mais questionnement et distanciation, également, à l’égard de sa joliesse, de sa manière qui contraste avec celle des blocs nus qui la déplacent. Et lui rendent profondément justice.